Opium noir (6) : A l’ombre des cèdres

Rapport de mission n° 89
Date de la mission: Juin 1926
Agents :

Peu après la mort du chef du réseau de traficants en France, la BMS va frapper sur le lieu de transformation de la drogue, au Liban, où la pègre locale semble contrôler jusqu’aux autorités coloniales françaises par la corruption.

La nouvelle de la mort de Karaboudjian est une bonne nouvelle pour la BMS, qui a désorganisé la filière d’importation de l’opium noir en France. Cependant, le commissaire principal Fèvre tempère l’ardeur de ses agents : la guerre des gangs ne fait que commencer à Marseille, pour le contrôle de ce juteux trafic. Après une période de chaos, il est fort à parier que les Laotiens de Paris trouveront d’autres « associés », ou que la filière libanaise réorganise ses réseaux. Ils peuvent tenter de faire passer la drogue de manière classique, en se risquant aux douaniers.

Il est donc décidé de maintenir la surveillance des Laotiens et de ne les arrêter qu’une fois la production de cette drogue surnaturelle complètement détruite. Et qu’une fois l’antidote, s’il existe, découvert par la brigade... Une équipe est mobilisée pour le Liban où plusieurs indices télégraphiés par l’équipe de la Montmorandière démontrent que s’y trouve le cœur de l’organisation Karaboudjian. L’inspecteur principal Hubert d’Auclin du Loup et l’inspecteur Duchemin partent le jour même pour Marseille, d’où ils partiront en avion spécialement affrété pour le Liban non sans avoir inspecté la villa Capri. Un télégramme est envoyé à Port-Saïd ordonnant aux agents s’y trouvant de se rendre à Beyrouth et d’y attendre les renforts avant de poursuivre leur enquête. De la Montmorandière répond que les inspecteurs Durieux, Bonnefoy et de St-Véran partiront pour le Liban tandis qu’il rentrera en France avec l’inspecteur chef Martel, grièvement blessé et dont il craint pour la vie s’il voyage seul.

Le soir, les agents de Port-Saïd embarquent sur un navire vers Beyrouth. Le voyage se déroule sans histoires et ils prennent un peu de repos, contemplant les côtes de la Palestine.

30 mai 1926 : En France, d’Auclin du Loup et Duchemin arrivent en train à Marseille où ils sont accueillis par les agents déjà sur place. Ils visitent la villa Capri et examinent le rapport de police sur la découverte du corps de Karaboudjian dans une calanque. L’hydravion FBA 17 qui s’y trouvait a été saisi par la BMS et se trouve sur un aérodrome de Marseille où il est réparé.

31 mai 1926 : Arrivée vers midi au port de Beyrouth des trois agents partis de Port-Saïd.

A la gare maritime, un homme portant une pancarte sur laquelle est inscrite « M. de la Montmorandière » est posté au débarcadère. Durieux l’accoste et l’homme dit travailler à l’état-major, où on a mis une voiture à leur disposition. Durieux lui demande son nom et celui de la personne qui l’a envoyé. L’homme semble un peu confus, dit s’appeler Samine et donne le nom d’un officier. Durieux est un peu méfiant mais se laisse tenter quand il voit la limousine avec chauffeur qui attend un peu plus loin. Il embarque avec l’inspecteur Bonnefoy dans le véhicule, qui démarre vers le centre-ville. L’inspecteur de Saint-Véran, prudent, s’est tenu à l’écart et a tenté de prévenir ses camarades de ne pas y aller car il s’agit peut être d’un piège des trafiquants. Bien lui en prit, car on ne revit plus jamais les inspecteurs Durieux et Bonnefoy ! Le soir, après s’être bien fait confirmer que l’état-major n’a envoyé aucune voiture, il informe la police locale de la disparition de ses deux camarades.

Pendant ce temps, à Marseille, quatre inspecteurs de la BMS (d’Auclin du Loup, Duchemin, Rodier et Evrard) embarquent sur un hydravion Lioré et Olivier H-13 spécialement affrété qui s’envole pour un voyage en plusieurs étapes à destination de Beyrouth.

1 juin 1926 : Le matin, l’inspecteur Barnabus de St-Véran apprend du commissaire Gengini de la police locale que ses deux camarades sont sans doute morts, puisque des informateurs lui ont signalé une fusillade autour d’une limousine immobilisée dans une ruelle d’un quartier louche de Beyrouth. De St-Véran télégraphie la nouvelle à Paris et entreprend de poursuivre l’enquête seul, en attendant l’arrivée de ses camarades venus de Marseille. Il va reconnaître les locaux de la Karaboudjian SA au 6 rue Saladin, qu’il découvre comme étant à côté de ceux de la Société Agricole de la Bekaa. Il entre dans les locaux de la Karaboujian et y rencontre un secrétaire. Se présentant comme un homme d’affaires cherchant des navires pour transporter des produits vers la France, il obtient un rendez-vous pour le lendemain après-midi avec le directeur, Monsieur Welid Samda, actuellement absent. Quand le secrétaire lui demande son nom, de St-Véran, pris au dépourvu, lâche « Monsieur de la Montmorandière » (!).

Le soir, il se trouve une chambre au cercle de garnison de Beyrouth. Il est surpris par le luxe dans lequel y vivent les officiers français...

2 juin 1926 : A midi, le LéO H-13 parti de Marseille arrive dans le port de Beyrouth avec l’inspecteur principal d’Auclin du Loup et les inspecteurs Evrard, Rodier et Duchemin. De St-Véran les attend mais, rendu paranoïaque par les aventures des derniers jours, prend mille précautions pour aborder ses camarades.

Il raconte les évènements à ses collègues et notamment le rendez-vous qu’il a pris avec Welid Samda pour tout à l’heure. D’Auclin du Loup lui répond vertement que s’il a donné « De la Montmorandière » comme nom, c’est une armée de truands libanais qui doit nous attendre ! Il préfère prendre le temps de faire le tour de leurs contacts sur place avant de commencer à agir.

Ils vont aussitôt voir le capitaine Colignon, l’homme du 2eme bureau de Collot au Liban, qui a ses bureaux dans une petite caserne aux alentours de la ville. Il les reçoit très courtoisement, indique avoir été prévenu de leur arrivée par ses supérieurs à Paris. Il est prêt à mettre à leur disposition ses quelques moyens, à savoir une poignée d’hommes de troupe ayant déjà affronté le surnaturel, un peu de matériel militaire et trois Breguet 14 qui lui sont réservés sur l’escadrille locale. Interrogé sur l’activité de son service au Liban, il reste assez évasif mais reconnaît superviser la « surveillance » de quelques zones sensibles aux confins du désert... Il n’a jamais entendu parler de l’organisation Karaboudjian, pour lui le pays grouille de trafiquants de drogue et les hommes d’affaires louches sont monnaie courante ici. Il leur informe qu’à Beyrouth, l’équivalent du préfet est un militaire, le colonel de Beauchamp. Il dispose de moyens de police considérables et des pouvoirs très étendus... Les hommes dont Colignon dispose sont des militaires rompus au coup de main discret dans des zones hostiles, en ville ils n’interviendront pas.

Le soir, le groupe se loge au cercle de garnison. Les agents (Hubert d’Auclin du Loup le premier) sont émerveillés par le luxe du restaurant et en particulier par la fontaine de champagne. Des officiers en grande tenue coloniale ayant au bras des élégantes à la dernière mode de Paris y côtoient des hommes d’affaires libanais. D’Auclin du Loup interroge l’officier responsable du mess et apprend que celui-ci reçoit des dons généreux de la chambre de commerce de Beyrouth... Les chambres sont tout aussi luxueuses et font penser aux plus grands palaces. Les agents prennent conscience que leur enquête risque de ne pas leur faire que des amis dans l’armée française ; aussi d’Auclin du Loup annonce que demain ils logeront dans un endroit plus discret.

3 juin 1926 : Dès le matin, le groupe quitte le luxueux cercle de garnison de Beyrouth pour s’installer dans le confort plus spartiate de la caserne hébergeant les bureaux du capitaine Colignon, à qui Hubert d’Auclin du Loup se présente ainsi que ses collègues.

Hubert part aussitôt déranger le commissaire Gengini pour obtenir des éléments sur la disparition de ses deux agents mais n’apprend rien de plus. Il remue alors la bureaucratie locale pour se faire affecter des policiers ou soldats afin de l’aider à mener à bien une double perquisition qu’il ambitionne de réaliser à la Karaboudjian SA et au domicile privé de son directeur, Monsieur Welid Samda dont les agents ont trouvé l’adresse. Il obtient le concours d’une trentaine de tirailleurs sénégalais et dans l’après midi les perquisitions commencent !

A la Karaboudjian SA, les gorilles qui s’y trouvent sont rapidement débordés par la troupe et n’opposent aucune résistance. Welid Samda ne s’y trouve pas, en revanche un comptable proteste énergiquement. Les agents commencent alors à fouiller les documents et dans les heures qui suivent découvrent dans la comptabilité les informations suivantes :

  L’importation de matériel téléphonique en 1925 et son installation à Yanta.
  L’importation de deux FBA 17 et de matériel d’aviation, régulièrement approvisionné depuis 1925
  Beaucoup de « frais de représentation ». Une voiture offerte au colonel Beauchamp en 1925.
  Foule de contrats passés avec l’armée française pour affréter ses navires de matériels en provenance de Marseille.
  Des contrats passés avec Aristide Trochanis, de 1920 à aujourd’hui, pour l’achat de hachisch que « l’honnête commerçant » rencontré à Port-Saïd produit en Grèce. Mais les prix unitaires auxquels Karaboudjian SA achète sont toujours en légère baisse...

Pendant ce temps, un deuxième groupe d’agents accompagné de sénégalais fait une perquisition dans la luxueuse résidence de Welid Samda. S’y trouvent son épouse (qui proteste énergiquement) et des domestiques. Ils découvrent un disque métallique accroché au mur dans une des pièces, sur lequel est gravé une représentation d’un sombre rejeton de Shub-Niggurath.

Aux bureaux de la Karaboudjian SA, après trois heures passées à fouiller, les agents voient arriver trois camions de l’armée française remplis de tirailleurs algériens menés par un officier quelque peu arrogant. Il exige le départ des policiers de la BMS et l’arrêt de cette perquisition qui est « illégale ». Hubert proteste si énergiquement qu’il est aussitôt arrêté et embarqué par les tirailleurs algériens. Les agents de la BMS quittent alors les bureaux, sous l’œil moqueur des libanais. L’inspecteur Evrard apprendra dans la soirée que son collègue a été incarcéré à la prison militaire.

Un seul des agents n’a pas participé dans la journée aux perquisitions : Barnabus de Saint-Véran, qui a souhaité effectuer une reconnaissance aérienne sur le village de Yanta. Le capitaine Colignon lui met un appareil à disposition et il décolle dans l’après-midi à bord d’un Breguet 19 assis à la place de l’observateur. Malheureusement il ne parvient pas à se repérer en l’air et localiser le village. Après plusieurs heures passées à survoler la plaine de la Bekaa et la Syrie, l’avion retourne à Beyrouth. De Saint-Véran, dont c’était le baptême de l’air, se promet de remettre cela au lendemain.

4 juin 1926 : L’inspecteur Evrard demande audience auprès du colonel de Beauchamp, responsable de la police à Beyrouth. Il plaide le malentendu et obtient la libération d’Hubert d’Auclin du Loup. Dans la journée, Baranbus de Saint Véran effectue une deuxième reconnaissance aérienne et localise cette fois-ci le village, remarquant au fond de la vallée encaissée des champs de chanvre et de pavot, une piste d’aviation et quelques bâtiments à côté d’une rivière contiguë à une forêt.

Libéré le soir, Hubert d’Auclin du Loup propose à ses collègues un raid sur le village. Un débat s’engage sur le fait d’y aller en force ou de manière discrète. La deuxième solution l’emporte sur les dangers potentiels à rencontrer à Yanta, et ce en raison de la possible corruption des autorités militaires locales. Le raid ne sera donc monté qu’avec les hommes de confiance de Colignon.

5 juin 1925 : Journée consacrée à rendre compte de la situation à la BMS et à préparer le raid.

6 juin 1926 : Le raid est lancé sur Yanta dans la journée. Un camion transportant les agents ainsi que sept légionnaires part de Beyrouth à l’aube, emmenant une mitrailleuse Saint-Etienne et un mortier. Ils se postent sur une des collines dominant le village et observent les lieux.

Yanta est un petit village traditionnel situé dans une petite vallée orientée Ouest-Est que parcourt une rivière presque à sec. Tout autour se trouvent de nombreux champs de cultures méditerranéennes... Qui, à y regarder de plus près, sont en fait des champs de chanvre et de pavot ! En amont de la vallée, à l’Est du village, une piste de décollage au milieu des champs. A côté se trouve un hameau fait de quelques maisons situées sur un petit monticule, près de la rivière. C’est là qu’est stockée la récolte, c’est en tout cas un endroit important à en juger par les gardes armés qui y sont postés (et qui disposent d’une mitrailleuse !) Au Nord du hameau, les champs, puis un flanc de vallée comportant peu de végétation. Au Sud, la rivière, et une forêt méditerranéenne courant le long des pentes de la vallée.

Le plan d’attaque fait débat parmi les agents. Les vétérans de l’assaut contre la villa Capri à Marseille préfèrent attaquer à travers champs et éviter de passer dans la forêt, qui peut abriter de sales bestioles... Mais Hubert d’Auclin du Loup et le sergent commandant les légionnaires font remarquer que passer à travers champs équivaut à foncer à découvert face à une mitrailleuse ! On finit par se ranger de leur avis, et l’attaque est lancée après avoir auparavant coupé les fils téléphoniques reliant le hameau au village.

Le groupe progresse dans le maquis, Evrard et Rodier sont particulièrement nerveux et scrutent les moindres arbres au tronc large... Mais rien de surnaturel ne survient. Le mortier servi par deux légionnaires est installé et commence son tir sur le hameau, tandis que le reste du groupe court à travers les buissons jusqu’à l’orée de la forêt où la mitrailleuse Saint Etienne est mise en batterie par Hubert et un légionnaire qui tirent aussitôt. En face, c’est la panique, et leur mitrailleuse Maxims riposte et tue un légionnaire. Mais un obus de mortier bien placé pulvérise le garde mitrailleur ! Les agents et les légionnaires se ruent à l’assaut, essuyant le tir désordonné des gardes faisant feu de leurs fusils. Le mortier continue de faire des ravages chez l’ennemi, mais un garde se faufile jusqu’à la Maxims, la remet en batterie, et tire sur la Saint Etienne. Sa rafale fait mouche et fauche Hubert d’Auclin du Loup, qui tombe mortellement blessé de trois balles. Puis le garde tire sur les légionnaires sortis de la forêt qui traversent actuellement la rivière, et tue deux d’entre eux. L’inspecteur Duchemin parvient heureusement à limiter le massacre en tuant au fusil le servant de la mitrailleuse ennemie. Les légionnaires continuent leur progression, passent la rivière et arrivent dans le hameau où ils réduisent à la grenade les derniers points de résistance.

Au final, trois légionnaires ont été tués, plus l’inspecteur principal d’Auclin du Loup. L’inspecteur Evrard est assez sérieusement blessé par une balle de fusil. Mais l’heure n’est pas au décompte des pertes, car des bruits de moteur d’avion sont entendus du hangar près de la piste de décollage ! Les agents de la BMS et les légionnaires valides s’y précipitent et voient deux hydravions FBA 17 en train de décoller. Ils tirent de toutes leurs armes sur les appareils et tuent le pilote de l’un d’eux qui roule en bordure de piste et va brûler dans un champ. Le second, bien que touché au moteur, parvient à décoller et à prendre la fuite vers le sud.

Une fouille de tous les bâtiments permet de découvrir un véritable laboratoire de drogue servant à transformer le chanvre en hachisch et le pavot en opium... Mais ce qui intéresse plus directement leur enquête était constitué des choses suivantes :
  Un stock de boites en fer contenant de la sève noire, qui est amalgamée à l’opium produit sur place pour donner de l’opium noir. Sur ces boîtes métalliques, une étiquette représentant un sceau « Chinois », sans doute le logo d’une société asiatique.
  Une carte de navigation aérienne, qui représente le nord de la mer rouge. Apparemment, les trafiquants ont un point de ravitaillement au nord de la mer Rouge, sur les rivages de l’Arabie Saoudite. Sont également marqués deux autres points : l’un, dans les montagnes de la côte égyptienne ; et l’autre sur un îlot de la côte d’Arabie près du village d’Al-Wajh.
  Un calendrier sur lequel des dates sont soulignées, sans nul doute celles des livraisons à l’îlot d’Al-Wajh. La prochaine étant le 16 juin 1926.
  Un coffre contenant des thalers d’or et d’argent.
Un texte en arabe impeccablement calligraphié à la main sur du papier de qualité. Une traduction en français en a été faite par les trafiquants.

Le deuxième don d’Allah

Dans ma jeunesse de marin, j’ai foulé du pied le sol de l’île où le poète Abu Al-Muhawaya vit dans le reflet des eaux pures le sillon céleste de la comète toucher le sol de la Mecque. J’eus la révélation du deuxième don que prodigue Allah le miséricordieux non sur la terre d’Arabie, mais dans les eaux d’Al-Bahr Al-Ahmar :l’eau de pluie la plus pure, née de l’union du feu du ciel et des nuages blancs. Les perles sont des gouttes de rosée tombées du ciel pendant les nuits de lune, qui emportent avec elles, dans la mer profonde, un peu de cette lumière merveilleuse et douce de l’astre qui compte notre temps.Les sadafs nacrés reçoivent dans leur manteau soyeux ces larmes précieuses de la nuit et dans le mystère de la mer prennent corps les perles, filles de l’eau du ciel et de la lune.
Sur cette île qui vit mon impétueuse jeunesse rendrais-je grâce à Allah du don qui illumina ma vie.

Saïd Ali, 1913

Sans se préoccuper du sens de ce texte, les agents survivants détruisent les stocks de drogue et de sève noire, puis évacuent les lieux sans tarder.

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