Après le Liban, des agents de la BMS poursuivent leur enquête en Mer Rouge où ils retruisent un maillon supplémentaire du réseau des traficants auquel collaborait une personnalité française peu orthodoxe...
Les feux du 14 juillet
L’enigmatique carnet du capitaine Pop Plinn
Le taureau de Knossos
Les vents de l’Atlas
La zone interdite
Le montreur d’ombres
La menace de Madagascar
Le complôt de la main rouge
Le vampire de Vénétie
Les agents survivants retournent en camion à Beyrouth, emmenant avec eux les corps de leurs camarades tués au combat. L’inspecteur Rodier remercie les légionnaires en leur donnant un peu d’or trouvé dans le coffre des trafiquants. Un télégramme rendant compte du raid est envoyé à Paris.
7 juin 1926 : La BMS répond d’attendre l’arrivée de renforts puis de continuer l’enquête au proche orient et notamment sur le trafic en mer rouge via Djibouti, de façon à collecter un maximum d’indices avant de lancer une expédition en Indochine contre le centre de production de la sève noire. Est ordonné également de rapatrier avec escorte l’agent blessé (l’inspecteur Evrard) ainsi que le corps de l’inspecteur principal d’Auclin du Loup. L’inspecteur Duchemin se propose d’accompagner ses camarades en France et ils embarquent le soir même pour Marseille à bord d’un cargo.
8 juin 1926 : Un télégramme de Paris annonce aux agents à Beyrouth l’arrivée prochaine de l’inspecteur François-Martial Sarraut, parti la veille pour le Liban de Marseille à bord de l’hydravion FBA 17 des trafiquants capturé sur la Côte d’Azur.
Barnabus de Saint Véran se rend à la bibliothèque de Beyrouth pour se renseigner sur l’auteur du poème et sur le poète auquel celui-ci fait référence. Il n’obtient rien au sujet de « Saïd Ali » qui est un nom très courant dans le monde arabe, en revanche Abu Al-Muhawaya était un poète contemporain de Mahomet, célèbre pour son ouvrage « les poésies des révélations » datant du 7eme siècle. Un exemplaire de ce livre est même à la bibliothèque, mais il s’agit d’une copie allégée éditée par les turcs au 17e siècle et on n’y trouve aucune poésie faisant mention d’une île où il aurait contemplé une comète. Le bibliothécaire qui le renseigne pense que l’exemplaire original des poésies dot se trouver à la Mecque, mais qu’une copie beaucoup plus ancienne doit se trouver au Caire à l’université Al-Azar. Petit détail : de St-Véran remarque que l’ouvrage de la bibliothèque de Beyrouth a été consulté moins d’un mois auparavant par un certain François Ayub...
9 juin 1926 : Arrivée le soir de François-Martial Sarraut à Beyrouth sur son FBA 17. Bel exploit sportif ! Le 7 juin, il a volé de Marseille à Venise où il fit escale, puis de Venise à Durazzo où il passa la nuit. Le 8 juin il se perd au-dessus de la Grèce, et une météo défavorable le conduit à se poser à Athènes où il passe la nuit. Le matin de ce 9 juin, il décolle d’Athènes, survole la mer Egée et fait escale à Rhodes, puis Chypre, avant de se poser à Beyrouth.
Rodier et de Saint Véran le mettent au courant de la situation et de leur projet de survoler les zones des rivages de la mer rouge figurant sur la carte des trafiquants capturée à Yanta.
Tous trois décident d’y faire des reconnaissances armées, ils se baseront à Suez (où ils pourront d’ailleurs continuer d’enquêter sur l’organisation Karaboudjian). Ils se rendront sur place avec le FBA 17 armé ainsi qu’un Breguet 14 sur lequel on a revêtu une immatriculation civile. Son armement est démonté et caché dans son fuselage, les anglais ne seront pas avertis... Le Breguet est mis à disposition par le capitaine Colignon du 2eme bureau, avec son pilote le lieutenant de Brechignac, un bon vivant avec qui les agents sympathisent rapidement.
10 juin 1926 : départ des deux avions pour Suez. Ils survolent la Palestine et se posent à l’aérodrome de Suez, occupé par la Royal Air Force. Les formalités douanières ne posent pas de souci, même s’ils ont l’impression qu’un officier anglais se montre assez intéressé par leur venue.
Arrivés l’après-midi, les agents laissent la garde des avions à de Brechignac et se rendent dans la ville pour se présenter au Consul de France, Monsieur Garier. Ils sont reçus par le chancelier, un jeune Copte du Caire très cultivé répondant au nom de Spiro, qui leur indique que le Consul est absent mais il leur prend un rendez-vous pour le lendemain. Il leur conseille plusieurs bons hôtels de la ville.
Après s’être trouvés un endroit pour dormir, les agents s’offrent un bon repas et l’inspecteur-chef Rodier pousse le vice, à l’imitation de de Bréchignac qu’il a la surprise de croiser en goguette en ville, de passer une partie de la nuit en compagnie de demoiselles peu farouches... Plus sérieux, de Saint-Véran fait une surveillance discrète du consulat pour observer les habitudes du chancelier Spiro. Ce dernier sort dîner dans un café grec et rentre travailler au consulat.
11 juin 1926 : le matin, les agents rendent visite au Consul Monsieur Garier à qui ils parlent de leur enquête sur un trafic de drogue organisée par des criminels libanais, et dont l’épisode de la fuite du navire Sirius dans les eaux du port de Suez en 1924 n’est qu’une péripétie. Le Français Henry de Monfreid est soupçonné travailler pour cette organisation. Le Consul les écoute mais ce qu’il sait de l’affaire du Sirius ne leur apprend rien qu’ils ne savent déjà. Il affirme avoir déjà rencontré Henry de Monfreid qui est venu à Suez à plusieurs reprises de Djibouti sur son navire, pour affaires.
Barnabus de Saint-Véran remarque que le chancelier Spiro, qui assistait à la conversation, a rougi dès qu’on a parlé de trafic de haschich et plus particulièrement d’Henry de Monfreid... Il en fait part à ses collègues après l’entrevue, qui pensent qu’ils ont là une piste pour rencontre de Monfreid !
Dans l’immédiat, ils conviennent d’aller au Caire à l’université Al-Azzar pour enquêter sur le mystérieux poème d’Abu Al-Muhawaya et dont la bibliothèque de l’université doit avoir un exemplaire. Les trois agents partent dans le Breguet 14 et se posent au Caire en début d’après-midi.
Ils se rendent à la célèbre université d’Al-Azzar et trouvent sans difficulté un étudiant francophone qui leur sert de guide. Il les conduit à la bibliothèque où les joueurs demandent à voir l’exemplaire du livre « Les poésies des révélations », d’Abu Al-Muhawaya. On leur sort un livre qui est une copie manuscrite datant du 12e siècle. Le poème recherché a disparu, pages arrachées ! Alerté, le bibliothécaire se souvient qu’un libanais (François Ayub d’après la fiche) est venu le consulter il y a quelques semaines. Il pâlit quand il réalise qu’il se souvient l’avoir vu partir avec des pages... qu’il a arraché devant lui ! Les agents comprennent que le vieux bibliothécaire vient de réaliser qu’il a été victime d’une sorte d’hypnose lui ayant fait oublier ce vol. Il reprend d’ailleurs vite le dessus, car il hurle aux étudiants d’aller chercher la police pour déclarer le vol. Il offre ensuite toute son aide aux agents en demandant à des étudiants de rechercher, dans les diverses mémoires et études sur la poésie arabes, une copie du poème dérobé. Il leur confirme que l’exemplaire original de ce livre datant du 7eme siècle se trouve bien à la bibliothèque de la Mecque.
Ceci allant prendre quelque temps, les inspecteurs Sarraut et Rodier décident de rentrer à Suez laissant de Saint-Véran sur place. Ce dernier, envisageant la possibilité d’aller à la bibliothèque de la Mecque, se convertit à l’islam.
12 juin 1926 : Sarraut et Rodier partent de Suez le matin pour une reconnaissance en Breguet 14 du point de ravitaillement des trafiquants noté sur la carte trouvée au Liban. Ce point se trouve sur la côte d’Arabie, à l’Est du débouché du golfe d’Aqaba. Anticipant de l’action, ils ont monté avec l’aide de de Bréchignac leur unique chargement de bombes légères sous les ailes de l’appareil. En vol, Rodier assis à la place du mitrailleur monte sur l’anneau tourelle ses deux mitrailleuses Lewis. La mitrailleuse avant, très visible car attachée sur le côté du moteur, n’a pas été montée pour ne pas attirer l’attention des anglais à l’aérodrome de Suez.
Après deux heures de vol, ils découvrent sur une plage un campement composé de plusieurs tentes derrière des dunes, un wharf auquel est amarré un zaroug (bateau indigène traditionnel), ainsi qu’un hydravion FBA 17 hissé sur la plage ! Après un premier passage, Sarraut et Rodier ont la certitude qu’il s’agit sans nul doute du repaire des trafiquants. Virant vers la mer, ils décident de passer à l’attaque. Sarraut amorce un large virage et revient sur le camp, en visant le zaroug. Il constate que le FBA est glissé à l’eau, moteur démarré, avec deux hommes à bord assis côte à côte dont l’un d’eux sert une mitrailleuse sur un affût mobile qui y a été bricolé. Sarraut se concentre sur le zaroug et y largue une partie de son chargement de bombes mais le manque, les bombes soulevant une grosse gerbe d’eau. Rodier tire sur le navire avec ses deux Lewis et en balaye le pont. S’obstinant, Sarraut fait un deuxième passage et manque sa cible de nouveau. Pendant ce temps, le FBA a décollé et vire au ras de l’eau pour faire face au Breguet. Le mitrailleur du FBA fait feu et manque sa cible. Les deux avions se croisent, ce qui laisse Rodier en position de tir : il fusille littéralement le pilote ennemi ! Le mitrailleur parvient à saisir les commandes et à poser l’hydravion sur l’eau et le faire échouer sur la plage. Sarraut revient vers le rivage et tourne autour de l’hydravion, laissant le temps à Rodier d’y vider plusieurs chargeurs. Le mitrailleur est tué et l’avion enflammé, mais il n’est pas tombé sans combattre puisqu’il a touché le Breguet d’une bonne rafale, blessant sérieusement son pilote. Sarraut abandonne le combat et va se poser plus loin sur le rivage, où Rodier lui administre des premiers soins et panse ses blessures. Le Breguet redécolle et rentre à Suez vers midi où l’on fait soigner son pilote.
Pendant ce temps, au Caire, Barnabus de Saint-Véran a pu grâce à l’aide d’étudiants égyptiens retrouver des notes qui donnent un assez bonne idée du contenu du poème écrit par Abu Al-Muhawaya. Ce dernier était un marin naviguant sur la Mer Rouge. Parmi les premiers convertis aux thèses de Mahomet, il raconte sa foi mystique en l’islam une nuit où, réfugié sur une île entourée de récifs, il vit une comète se diriger vers la Mecque, comme s’il c’était celle ayant apporté la célèbre pierre noire qu’adorent les musulmans. D’après les étudiants, cette île devait se situer près de Jedda, un peu plus au sud, où le rivage est garni de petites îles bordées de récifs. Il n’a pu obtenir d’indications plus précises sur l’apparence de cette île mais comme Abu Al-Muhawaya était assez prolixe dans ses descriptions du monde marin, nul doute que le manuscrit original permettra de répondre à cette question... Ceci dit, il n’apprend rien sur ce mystérieux Saïd Ali qui fit référence à cet illustre poète dans un de ses textes. Après avoir remercié les étudiants, de St-Véran envoie un télégramme à Suez et de Brechignac vient le chercher en FBA 17 après un vol d’à peine une heure.
Réunis le soir, les trois agents décident de concentrer leurs efforts sur l’attaque des points de ravitaillement des trafiquants. Ils repartiront demain avec les deux avions. La soirée, Rodier, Sarraut et de Bréchignac la passent en charmante compagnie...
13 juin 1926 : Dès l’aube, l’équipe au complet décolle de Suez vers le camp des trafiquants. Le Breguet 14 pleinement armé cette fois-ci est piloté par Sarraut et emporte Rodier en mitrailleur ; le FBA 17 est piloté par de Bréchignac et emporte de Saint Véran comme passager et mitrailleur sur l’anneau tourelle avant que les agents ont bricolé au Liban.
Après deux heures de vol, ils trouvent le camp. Il paraît désert, le zaroug a disparu et l’épave calcinée du FBA 17 gît sur la plage. Les tentes sont toujours là... Le FBA 17 des agents se pose sur la plage tandis que le Breguet reste en vol circulaire. Précaution utile, car trois trafiquants armés de fusils s’étaient camouflés dans le sable et tirent sur les avions, ils sont vite réduits au silence. La zone sécurisée, le Breguet se pose à son tour sur la plage et la fouille des lieux commence.
Sur les corps des trafiquants, le médaillon caractéristique de la secte libanaise représentant un sombre rejeton de Shub Niggurath vu de haut. Ils étaient armés de fusils Mauser. Enfoui dans le sable, des cuves à carburant d’avion. Dans les tentes les agents trouvent :
– Des vivres.
– De l’outillage technique.
– Une caisse d’or en Thalers.
– Une TSF dirigée vers le Liban.
– Une mitrailleuse MG 15 endommagée (sans doute celle utilisée sur le FBA 17 des trafiquants)
– Une carte de la Mer Rouge comprenant des repères de navigation aérienne.
Sur cette carte deux points attirent l’attention des agents.
L’île d’Al-Wajh vers le sud le long de la côte d’Arabie. C’est un petit îlot entouré de récifs et cela semble être un endroit où plusieurs fois par an les trafiquants vont en avion prendre livraison de quelque chose : les agents en déduisent qu’il doit s’agir de sève noire d’Henry de Monfreid doit leur amener, moyennant finances, de Djibouti. La cargaison devant être assez lourde, plusieurs voyages devaient être effectués par hydravion pour la ramener où ils sont puis pour la faire transiter vers le village de Yanta. D’après leur calendrier, le prochain passage de Monfreid devrait avoir lieu le 16 juin, c’est-à-dire dans trois jours...
Autre point marqué sur la carte : une piste d’atterrissage secrète, dans les montagnes de la côte égyptienne de la Mer Rouge. C’est sans doute de cette façon que les trafiquants font passer leur haschich en Egypte.
Alors que les agents examinent la carte, un groupe d’une vingtaine de cavaliers arabes approche du camp et entourent les avions. De Saint Véran parlemente en arabe avec eux et bien que l’arabe parlé en Algérie soit différent de celui parlé ici, il parvient à comprendre que leur chef se nomme Cheik Massan Mahaboussi et qu’il vient chercher son tribut pour permettre l’installation de ce camp sur les terres... Sarraut perçoit chez lui un certain enthousiasme pour les avions et lui offre un baptême de l’air. Le cheik en est ravi et ses cavaliers repartent après un verre de thé et quelques Thalers d’or.
Le campement semblant sécurisé, et l’organisation Karaboudjian défaite (deux de ses quatre FBA 17 détruits plus un capturé par la BMS), les agents décident de rester sur place comme base avancée pour mener à bien leurs recherches aériennes. Ils organisent des tours de garde la nuit, restant à portée de leurs avions et mitrailleuse, juste au cas où...
14 juin 1926 : Le FBA 17 monté par Sarraut et Rodier part pour les montagnes égyptiennes à la recherche de la piste d’atterrissage secrète. Ils trouvent effectivement une étendue plate et débarrassée de ses gros cailloux, mais aucune présence ni bâtiments. Quelques indices trouvés sur le sol montrent que le lieu a été souvent utilisé : empreintes de chameaux, taches d’huile, boîtes de conserve, restes de feux de cuisine... Les agents retournent ensuite à la base des trafiquants.
15 juin 1926 : Les agents conviennent de laisser passer le 16 juin et la livraison supposée de sève noire par de Monfreid avant d’aller inspecter l’îlot d’Al-Wajh. Ils iront le rencontrer en personne à Suez pour l’interroger sur ses rapports avec l’organisation Karaboudjian.
16 juin 1926 : Une journée d’attente à la plage, à scruter la mer en cas d’arrivée d’un navire de trafiquants...
17 juin 1926 : Le matin, le FBA 17 piloté par Sarraut et emmenant Rodier en passager décolle vers l’îlot d’Al-Wajh. Ils le repèrent rapidement : c’est un îlot de roche et de sable, couvert d’excréments d’oiseaux. Tout autour se trouvent de dangereux récifs et seul un navigateur très expérimenté pourrait y accoster en bateau. Sarraut fait plusieurs passages avant de trouver un angle pour amerrir. Amarrant leur hydravion sur le rivage, les deux hommes font rapidement le tour de l’île et trouvent de nombreuses traces de pas que le vent n’a pas encore effacé. Egalement un endroit où le sable semble avoir été retourné : ils creusent et découvrent plusieurs caisses contenant des boîtes de conserves frappées du logo « chinois » découvert au Liban. Ces boîtes contiennent de la sève noire.
Ils en ramènent un échantillon avec eux et retournent à leur base. Sur place ils discutent avec Saint-Véran de l’attitude à adopter : le stock doit être détruit. Mais Rodier n’est pas pour vider le contenu de ces boîtes dans la nature, qui sait ce que les germes deviendront... Transporter ces caisses ici demandera de nombreux allers-retours en FBA, qui opèrent à la limite de leur rayon d’action. Ils conviennent finalement d’ouvrir les boîtes et d’en brûler le contenu à l’essence.
18 juin 1926 : Plusieurs allers-retours en FBA vers l’île de Al-Wajh sont effectués par Sarraut seul transportant de l’essence.
19 juin 1926 : Le matin il retourne sur l’île avec Rodier et les deux hommes mettent le feu au stock. Puis ils retournent à la base des trafiquants, et de là avec le Breguet 14 piloté par de Brechignac reviennent à Suez.
Ils foncent au consulat et vont trouver le jeune chancelier, Monsieur Spiro. Jouant sur sa timidité et le brusquant un peu, ils demandent d’organiser une rencontre avec Henry de Monfreid qui doit se trouver à Suez, il faut qu’ils discutent « affaires » avec lui. Spiro reconnaît l’avoir déjà vu dans un bar en présence d’un ami commun, un grec du nom de Stavro à qui de Monfreid vendait du haschisch. Les agents se font conduirent à ce bar par Spiro et rencontrent Monsieur Stavro, un grec obèse vêtu d’un habit blanc avec un chapeau. Ils entrent dans le vif du sujet en parlant de l’organisation Karaboudjian contre laquelle ils luttent, citent les noms des responsables locaux et lui apprennent que Karaboudjian lui-même est bien mort. Intéressé, le gros grec admet à mi-mot que Karaboudjian et sa bande ont causé et continuent de causer beaucoup de soucis à d’honnêtes commerçants tels que lui. La soirée se poursuit à discuter, le Grec semble ravi de rencontrer des ennemis de ses ennemis. Les agents embrayent la conversation et lui demandent à rencontrer le Français Henry de Monfreid, il accepte et leur propose de revenir demain soir au même endroit.
20 juin 1926 : La rencontre avec de Monfreid a bien lieu à l’heure dite Monfreid est un homme d’une quarantaine d’années, habillé en costume local. A côté de lui, le commerçant grec Stavro. La rencontre a lieu dans une pièce retirée du bar.
Les agents lui indiquent qu’ils sont de la police française et lui parlent de sa collaboration avec l’organisation Karaboudjian. « Et alors ? » leur répond-il. « Ils paient bien. Je ne fais rien d’illégal en transportant leurs boîtes contenant de l’huile noire ! ». Peut-être, mais ce sont des gens sans scrupules... Les agents lui demandent d’arrêter de travailler pour lui, lui indiquant qu’ils se moquent de ses trafics personnels mais luttent contre l’organisation Karaboudjian. Ce dernier est mort à l’heure actuelle, et ses principaux lieutenants n’en n’ont plus pour longtemps... De Monfreid semble sceptique. Barnabus de Saint-Véran apporte alors à la conversation un argument brutal : il pose sur la table une boîte de sève noire. « De toute façon, vous n’avez pas le choix. Nous avons déterré toute la cargaison que vous avez livré à l’îlot près d’Al-Wajh. Comment croyez-vous que vos employeurs vont réagir ? Vous finirez comme beaucoup de leurs concurrents. Faut-il que l’on vous décrive comment a fini Ergul Isman, le frère d’un gros caïd du Caire ? »
De Monfreid commence à réfléchir et à changer d’avis. Les agents en profitent pour lui demander les contacts qu’il peut avoir avec l’organisation Karaboudjian. Il leur répond qu’il a été abordé en 1925 par le capitaine d’un cargo, nommé Maurice Imad, qui lui aurait proposé moyennant finances et peu de questions d’amener sur un lieu discret et inviolable de son choix une cargaison d’huile noire expérimentale. La cargaison serait déchargée à Djibouti par le cargo « Le Sirius » en provenance d’Indochine, et devrait être transportée sur un petit navire indigène discret en plusieurs voyages si besoin était vers ce lieu sûr. De Monfreid lui proposa une des îles au large d’Al-Wajh, lieu vers lequel même les pirates Zaranig ne s’aventurent pas en raison des récifs bordant l’île et que seul un navigateur chevronné peut réussir à passer. C’est ainsi qu’il reçut trois chargements à Djibouti qu’il transporta en plusieurs voyages. Actuellement, le « Sirius » est toujours à quai à Djibouti mais Maurice Imad n’est pas à bord, il serait parti en Erythrée italienne à Asmara d’après ce qu’il en sait.
De Saint-Véran lui demande alors si le nom de « Saïd Ali » lui dit quelque chose et lui montre le poème qu’ils ont trouvé au Liban. Le visage de Monfreid s’illumine.
Il leur raconte que Saïd Ali était le cheik de Dahlak, archipel au large de Massaoua en Erythrée italienne. Passionné par les perles, il en avait une collection prodigieuse qu’il conservait dans un coffre, dans des bocaux remplis d’eau de pluie. Vers la fin de sa vie en 1914, il était très malade et soigné (drogué ?) à la morphine. Le vieil avare qu’il était se mit à craindre que ses trois fils, très dépensiers, ne se mettent à sa mort à vendre son trésor aux négociants de perles européens de Massaoua. Aussi, quand il quitta ce monde, on ne trouva pas ses précieux bocaux dans son coffre mais un mot :
« Que la bénédiction de Dieu soit sur mes enfants, mes esclaves et mes serviteurs. C’est par ma volonté que ces perles amassées au cours de ma vie ont été retirées de ce coffre, avant ma mort, et nul ne doit savoir, ou rechercher de savoir, où elles sont. S’il plait à Dieu, elles reviendront à qui de droit dans le temps et les circonstances que sa sagesse m’ont inspiré de fixer. Après ma mort, personne ne devra rien changer au cours d ce que j’ai décidé et le malheur sera sur celui qui voudra y mettre obstacle. Que la volonté d’Allah s’accomplisse, il est le seul Dieu et Mahomet est son prophète ».
Il se fit construire un tombeau sur l’île de Seil-Djin, par son vieil eunuque Kamès. C’est une île bordée de récifs dont le chenal a été comblé.
Les perles furent en fait en possession de son fils aîné, Omar, qui les vendit à Aden à un négociant juif de Massoua, Jacques Schouchana, travaillant pour le bijoutier Rosenthal. Schouchana raconta sa transaction à de Monfreid il y a quelques années. Lui-même rencontra Saïd Ali malade en 1914, et pu contempler sa collection de perles dans des bocaux. Il a aussi appris qu’Omar a vendu quelques meubles et livres ayant appartenu à son père au marché de Massaoua. Peut-être que dans l’un d’eux ce trouvait ce poème, qui est tombé dans les mains de Maurice Imad. Peut-être est-ce la preuve que Saïd Ali fit immerger à sa mort ses plus belles perles ?
De Monfreid demande aux agents s’ils ont identifié l’île indiquée dans le poème, ils auront besoin d’un bon marin pour s’y rendre... Ils lui répondre qu’ils sont là pour poursuivre Karaboudjian et son organisation, et non pour faire une chasse au trésor. Puis ils prennent congé.
21 juin 1926 : Après une bonne nuit, les agents télégraphient les nouvelles à Paris et demandent à ce qu’un ordre soit donné aux autorités françaises de Djibouti pour saisir le cargo « Sirius » et arrêter son capitaine, pour trafic de stupéfiants. Comme il est recherché par les autorités anglaises pour le même motif, il n’y aura pas trop de difficulté à motiver un juge à faire le nécessaire... Les trois agents demandent alors la permission de partir pour Djibouti, car ce navire doit contenir des indices sur la provenance de sa marchandise en Indochine. La BMS leur répond favorablement et leur réserve des places sur le prochain navire des messageries maritimes de passage à Suez.
Les agents se séparent du sympathique lieutenant de Brechignac qui les accompagna dans ce périple. Il rentre à Beyrouth à bord du Breguet 14, les laissant avec le FBA 17.
23 juin 1926 : les trois inspecteurs Rodier, Sarraut et de Saint-Véran embarquent sur un cargo des messageries maritimes à Suez, sur lequel une grue charge leur FBA 17.
Du 24 au 28 juin 1926 : voyage sans histoires sur la Mer Rouge vers Djibouti. L’inaction étant propice à la réflexion, ils se demandent ce qui peut pousser les trafiquants de haschich à se lancer dans la chasse aux perles. La réponse leur vient d’un passager spécialiste de ces questions : une collection de perles exceptionnelles peut se vendre plusieurs millions de francs ! Ils regardent alors songeurs la rive de l’Arabie Saoudite...
28 juin 1926 : Le navire des agents arrive à Djibouti, petit port perdu sur le rivage africain écrasé par une chaleur étouffante. Ils trouvent le « Sirius » à quai, gardé par des tirailleurs sénégalais. En se présentant au palais du gouverneur, ils découvrent qu’un fonctionnaire zélé, Monsieur Blondet, a appliqué plus que scrupuleusement les consignes qui lui sont venues de Paris : il a fait mettre sous séquestre le navire, jeté son équipage en prison à défaut d’avoir trouvé son capitaine et fait procéder à une fouille complète du navire. Les trois agents de la BMS n’ont plus qu’à lire le rapport... Aucune cargaison n’a été trouvée dans le navire, qui l’avait déjà débarquée. Rien de bien intéressant non plus dans les effets de l’équipage, ci ce n’est quelques armes qui sont tolérées sur le bateaux naviguant dans des eaux où sévit la piraterie. L’équipage est d’ailleurs bien cosmopolite mais aucun d’entre eux ne porte le médaillon des libanais de Karaboudjian.
Le registre du navire montre qu’il effectue de la navigation dans l’océan indien, transportant divers produits entre l’Indochine, l’Indonésie, Pondichéry, Goa, et Djibouti. Rien de bien reluisant, si ce n’est une mystérieuse cargaison « d’huile végétale expérimentale » chargée à Saigon le 8 avril 1926. Elle proviendrait de la « Société du Nord Mékong » qui a une adresse à Saigon au « 9 rue de la poste ». C’est toujours une piste... Les inspecteurs Rodier, de Saint-Véran et Sarraut décident alors de partir vers le lieu de production de la sève noire : l’Indochine.